Il fallait bien qu’on y arrive avec la dérive bureaucratique qui s’installe progressivement et insidieusement depuis la loi HPST (2008-2009).
Depuis les années 65, en France, sur le modèle américain, on a créé des campus universitaires regroupant les différentes facultés (situées en centre-ville) à l’extérieur en plein champs (étymologie latine). Les plus âgés se souviennent du campus de Nanterre, creuset de l’agitation estudiantine de 68.
Puis on a parlé des campus hospitaliers, c’est-à-dire les nouveaux hôpitaux, eux aussi le plus souvent excentrés et regroupant tout sur le même site. Cela peut se comprendre sur un plan fonctionnel et de toute façon on ne passe pas sa vie à l’hôpital. Un pas de plus a été franchi, avec les regroupements hospitaliers de territoire (printemps 2016). Pourquoi pas ? On jugera si réellement des économies sont à attendre…
Mais là où c’est grave, c’est qu’une même logique se met en place dans le médico-social, prié de s’inspirer de la logique sanitaire. Nous étions quelques-uns à mettre en garde contre la loi HPST, où « le grand méchant loup sanitaire » allait dévorer le médico-social lilliputien, en lui insufflant le venin du gigantisme et de la bureaucratie. Le président du CNCPH de l’époque était d’accord avec nous.
« Small is beautiful » était la devise des années 2000. Aujourd’hui c’est l’inverse. On force les associations à se regrouper, on ne voit plus que par les très grandes associations, les associations familiales les premières ont été dans le collimateur des administratifs qui veulent étendre partout leur bureaucratie.
L’appel à projets des Yvelines doit être resitué dans ce contexte. Il fallait rentabiliser un hôpital qui avait abandonné le site pour des bâtiments plus fonctionnels en ville.
Ne restent sur place, comme c’est souvent le cas, que les services les moins bien considérés (qui n’ont pas besoin « d’équipements modernes ») :
Donc restent sur le site aujourd’hui environ 300 « patients » (et sans doute un plus grand nombre de salariés). Le chiffre sera multiplié par deux avec l’appel à projets de l’ARS… En tout 1500 personnes sur le même site !
Il s’agit bien d’un véritable « campus », avec un organisme de formation. Tout est donc bien dans le meilleur des mondes, on vous dit… !
On assiste véritablement à une démarche de ré-institutionnalisation, à l’opposé de la politique européenne concernant le handicap que la France a pourtant signée.
On recrée des villages médico-sociaux comme au 19e siècle on a créé autour des grandes villes des villages de « malades mentaux ». A l’époque, au 19e siècle, on innovait, pensait-on. C’est l’histoire de Ville-Evrard (d’où le nom) et de Maison Blanche à Neuilly sur Marne. Depuis 20 ou 30 ans, dans ces gros établissements, on ferme des unités, pour installer en centre-ville des services et de petites unités d’hospitalisation.
Et on ne trouve rien de mieux à faire avec cet appel à projets que de revenir aux erreurs du passé. L’histoire est un éternel recommencement… C’est inimaginable, je ne comprends pas qu’un débat public ne s’installe pas sur un sujet aussi essentiel, alors que certains ne cessent, dans le domaine de l’autisme, de dénoncer la psychiatrie. Mais la psychiatrie, elle, évolue, et c’est le médico-social qui ferait de la psychiatrie en pire encore !
Il nous faut gagner le combat des idées. Il est urgent de rappeler les démarches canadiennes des années 70 et la valorisation des rôles sociaux (Wolf Wolfensberger) qui a servi de théorie pour tous les projets du nord de l’Europe. Bien sûr les recommandations de l’ANESM ont des sources d’inspiration très proches (démarche écologique que l’on trouve dans les dernières recommandations).
Le slogan de l’UNAPEI « Je suis, je choisis où je vis » synthétise parfaitement toutes ces réflexions : je suis un citoyen, je vis en ville avec les autres ou … je suis condamné à vie à vivre dans un endroit de relégation, etc., qui me renverra l’image d’un être diminué, différent.
C’est un enjeu de société incroyable qui se joue, il faut en être conscient.
Fini le projet individualisé, l’usager au centre du dispositif, etc. Une page se refermerait sur une évolution des mentalités. Ce n’est pas un hasard si on en est arrivés là, car le danger était contenu dans la dynamique bureaucratique de la loi HPST, qui a institué les appels projets et fermé la possibilité aux militants associatifs de faire des projets innovants. Finie toute possibilité de créativité, un rouleau compresseur est en train de nous niveler par le bas : c’est bien un débat hautement politique !
Marcel HERAULT
07 juin 2017