Réflexions sur le projet de recommandation soumis à consultation publique sur l'autisme à l'âge adulte

 

Le projet de recommandation soumis à consultation publique est très riche. Il est la résultante d’un travail considérable en amont que l’on peut également consulter (plus de 400 pages de documentation), mais également d’échanges que l’on devine riches à l’intérieur du groupe de travail.

Sans vouloir comparer le texte qui suit à ce travail de recherche et d’écriture, dont il serait malséant de discuter l’intérêt, il me paraît important de mettre l’accent sur quelques points importants.

  1. Le projet de recommandation souligne bien l’extrême diversité des personnes qui aujourd’hui sont visées par la recommandation et qui sont susceptibles de recevoir un diagnostic de TSA (car peu sont réellement diagnostiqués convenablement). Certes, mais, pour notre association qui connaît mieux la population qui présente à la fois un repli autistique important et un déficit intellectuel, difficile à évaluer mais que l’on peut considérer comme très important, il faudrait aller plus loin et indiquer plus explicitement quel va être leur avenir, vers quelles modalités d’accompagnement il est préférable pour elles qu’elle se dirigent.

C’est souvent difficile, d’autant plus qu’il n’y a pas une vraie préparation à l’adolescence.

Pour aller dans le sens du désir, très légitime, des familles vers ce qu’on appelle (car le terme n’est pas très joli) une inclusion dans la société, on a différé le temps de la décision et sans doute trompé les familles sur la réelle situation de dépendance dans laquelle leurs enfants se trouvent dans leur vie quotidienne (la capacité de vivre seules) dans leur possibilité d’avoir une activité de travail par elle-même, dans leur autonomie personnelle (faire des choix, sortir seuls dans la rue, etc.).

Par ailleurs, les structures protégées n’ont pas bonne presse auprès des parents, à tort (parfois), à raison (souvent).

Pour ne froisser personne, la recommandation n’aborde pas cette question fondamentale. Le souci du consensus peut aussi conduire à la langue de bois…

2. C’est ainsi qu’à 20 ans, ou plus tard car certains parents s’appuyant sur l’amendement Creton se battent pour maintenir leur enfant en externat d’IME le plu longtemps possible (25 ans voire plus), se pose le dilemme pour les parents : orienter ou non leur grand adolescent vers un établissement social ou médico-social et ce pour une longue, très longue période.Certaines familles essaient le maintien à domicile, en utilisant toutes les aides que peut leur accorder la MDPH et bricolent une sorte de vie pour la personne handicapées sous leur responsabilité… Situation anormale, si elle se prolonge, car contraire à la vie et donc contraire à leur souhait de donner à leur enfant handicapé une vie comme celle des autres.Il ne faut pas oublier celles qui ne font pas vraiment ce choix, mais qui y sont contraintes par l’insuffisance (absolument dramatique) de places susceptibles de leur convenir (en MAS, FAM, mais aussi foyer, SAMSAH, ESAT…).Le résultat est rarement satisfaisant, c’est cela qui aurait dû être mieux documenté et clairement évoqué, car le tête à tête quotidien entre des parents (qui vivent un sacrifice de leur vie personnelle, quel que soit leur ressenti très variable dans le temps…) et des personnes certes dépendantes, mais qui ont besoin de relations beaucoup plus soutenues que ce que peut leur proposer leur famille, n’est pas une bonne chose.

Pour notre association, dans ses réflexions depuis de nombreuses années, nous disons qu’il faut encourager les familles à franchir le pas d’une vie en structure protégée et dans le même temps se battre pour que celles-ci s’adaptent aux vrais besoins des personnes adultes dépendants qui ont le droit de mener une existence digne dans des structures totalement ouvertes sur l’extérieur.

Cela arrange peut-être les pouvoirs publics, car le coût pour eux d’un prix de journée en établissement et celui des aides pour un maintien à domicile ne sont pas comparables. Mais il faut oser aborder cette question. Derrière il y a des situations dramatiques et même parfois des faits divers.

3. Il ne peut être question de séparer le jeune adulte de ses proches. Il ne s’agit pas d’une séparation physique (car pour nous celle-ci est nécessaire et va dans le sens de la vie), mais d’une séparation effective et morale.

N’envisager les parents que sous le vocable des représentants légaux (ce que l’on trouve dans la recommandation) est très insuffisant.

Ceux-ci doivent être plus étroitement associés à l’avenir de leur enfant, aux décisions qui les concernent, mais plus encore à son projet de vie ; ils doivent être informés de sa vie quotidienne, garder les liens (qui bien sûr évolueront au fil des années). Ne pas aborder franchement ces questions, c’est nécessairement décevoir la famille et surtout provoquer des effets pervers.

Car chacun sait qu’aujourd’hui les institutions sont loin d’être au top niveau.

Il ne faudrait pas imaginer que les recommandations de bonnes pratiques ne s’adressent qu’aux professionnels. Celle-ci, la dernière, sera lue avec encore plus d’attention par les familles qui ont besoin d’être rassurées.

Je ne connais pas une seule famille qui ne se pose pas la question de ce que deviendra son enfant après sa disparition, et même parfois avant si elle se trouve dans l’impossibilité de s’en occuper encore, car elle se rend compte que dans la MAS ou le FAM où se trouve son enfant, le suivi de sa santé (soins du corps, hygiène, mais aussi le suivi somatique…), les relations avec ses compagnons et avec les éducateurs, les activités qui lui sont proposées, les vacances dont il peut bénéficier… sont très variables, ce qui amène régulièrement notre association à rappeler ce qui ne va pas.

Ces constats (et je ne connais aucune famille totalement rassurée !) ne sont pas des exigences exagérées des familles (qui seraient incapable de rompre le cordon ombilical), mais des évidences (que l’on peut constater également en maison de retraite, mais les personnes âgées parlent et peuvent informer leurs proches, du moins pour certaines d’entre elles). On peut regretter que la recommandation édulcore cette question.

C’est un problème de société et de mentalité. Avoir un enfant handicapé ne doit plus être une malédiction, dont il faudrait en quelques sortes rendre les parents responsables et coupables, mais la société doit prendre en compte la totalité de la question et ne pas se rassurer trop vite en créant des places (c’est le minimum qui n’est pas atteint aujourd’hui) ou en demandant à la HAS et à l’ANESM des recommandations (pas toujours suivies d’effets…).

C’est au sort que l’on réserve aux personnes les plus fragiles que l’on juge le degré de civilisation d’une société, il faut toujours le rappeler.

La recommandation, certes, évoque les difficultés de fonctionnement de ces institutions : le turn over des salariés, l’insuffisance dramatique de la formation (on peut dire que pour les personnes avec autisme, c’est comme si on demandait au brancardier d’opérer à la place du chirurgien), la promiscuité au sein des institutions…

Il y a un retard dans notre pays sur toutes ces questions. Il faut oser prendre le problème à bras le corps.

Il faudra observer les pouvoirs publics dans les prochaines décisions :

  • Que fera-t-on du rapport de l’IGAS sur l’évaluation des établissements ?
  • Quelle autonomie laisseront-ils au secteur médico-social ?
  • Est-ce qu’on privilégiera le confort des fonctionnaires de l’ARS (je ne veux voir qu’une seule tête pour me simplifier le travail) aux besoins très complexes et très différents des personnes… ?
  • Se décidera-t-on à clarifier ce qui distingué une MAS et un FAM ?

La multiplication exponentielle des rapports sur l’autisme (il ne doit plus exister d’instances administratives qui n’aient été sollicitées) ne remplaceront jamais le bon sens, l’observation du quotidien de la vie des personnes handicapées et la conscience professionnelle de tous les acteurs. C’est donc bien un problème de société.

Marcel HERAULT – 10 juillet 2017