L’épuisement des familles et des professionnels (suite article précédent)

Après une période de stupéfaction et même d’abattement à la lecture du plan autisme qui n’en est pas un, il faut rappeler un certain nombre d’évidences dont apparemment n’avaient pas conscience nos « décideurs ».

L’actualité d’ailleurs nous aide ; le Président de la République à plusieurs reprises a été interpellé vigoureusement par des infirmières et des AMP (à Rouen, par exemple, la veille des annonces qui ont été faites le lendemain).

Je ne parlerai pas, comme nos politiciens, de convergence des luttes, mais de convergence des problématiques, car les parents d’enfants avec autisme (quel que soit l’âge) et les accompagnateurs sont confrontés à une même réalité, celle de vivre quotidiennement avec les enfants, adolescents ou adultes avec autisme, déroutants et « épuisants ».

Bien sûr, dès le début, il faut insister sur la différence des situations.

Les parents n’ont pas la possibilité « d’oublier » qu’ils sont parents 24 h sur 24. Souvent, pendant la période de l’enfance, les parents sont avec eux jour et nuit, weekend compris.

D’autre part, c’est leur enfant. L’attachement n’est pas le même ; les soucis, les préoccupations sont démultipliées.

C’est pourquoi on ne devrait pas avoir le droit de les laisser se débrouiller et de faire peser sur eux seuls la responsabilité de tout organiser. Bien sûr certaines décisions leur appartiennent, mais la charge mentale, comme on dit, devrait être vraiment partagée avec des professionnels compétents.

On ne devrait pas quémander des aides, mais obtenir les droits ordinaires (éducation/scolarité, soins médicaux, allocations…) sans que ce soit un parcours du combattant.

De plus en plus souvent, ceux-ci sont présentés comme des faveurs. Le droit au répit est un concept bien peu glorieux.

De même, les parents, lorsque leur enfant est adulte, devraient pouvoir passer le relais à des services ad hoc. On sait qu’on est loin du compte : insuffisance numérique de ces services ; aujourd’hui les MAS et les FAM (pour reprendre deux de ces services) ne semblent pas en capacité d’offrir des garanties ni de qualité d’accompagnement (y compris les vacances), ni de garantie de sécurité (santé, bientraitance). Toute leur vie les parents seront préoccupés et se rongeront les sangs, avec en plus l’appréhension de ce que deviendra leur enfant après leur mort.

Ce qui se prépare à travers « le plan » autisme qui n’accorde pas les financements indispensables, c’est l’asservissement à vie des parents à leurs enfants.

Je suis indigné de lire dans le document de la ministre qu’il ne faut plus raisonner en termes de lits ou de places. Le terme de « lit » appartient au vocabulaire médical et on se demande ce qu’il vient faire… Mais la « place » doit être préservée. Les adultes sont chez eux en MAS ou en FAM, c’est leur domicile ! En tout cas, c’est ce que cela devrait être et qu’il faut travailler.

C’est cela la solidarité nationale et on avait l’impression que les mentalités avaient évolué. A travers l’absence de financement des établissements pour adultes, on découvre une régression que l’on pensait (à tort comme le prouve le manque de financements) impossible !

Cela posé et réaffirmé avec force, les accompagnateurs de nos enfants connaissent également des difficultés qu’on aurait tort de minimiser, même s’il est vrai qu’ils sont « payés » pour cela.

Puisqu’on parle de salaire, il faut rappeler que les AMP, les aides-soignant(e)s ont des petits salaires comme on dit. La reconnaissance sociale n’est pas en plus au rendez-vous. La revalorisation de leur profession doit aller de pair avec une meilleure professionnalisation, avec des recrutements dans des métiers formés à l’université. Tout est lié : la formation et la revalorisation.

C’est pourquoi affirmer, à la suite du rapport de la Cour des comptes, qu’on gaspille de l’argent dans l’autisme est gravement irresponsable. Voudrait-on faire travailler pour rien les salariés ?

On aimerait que ceux qui affirment cela soient un peu logiques avec eux—mêmes.

Il faut de l’argent pour financer la santé et la solidarité nationale. L’enjeu est capital : c’est le visage de la société de demain.

Bien sûr les préoccupations d’une bonne gestion sont légitimes (j’ai été président d’une association gestionnaire), mais il faut aujourd’hui s’indigner de ceux qui tiennent des discours démagogiques, qui ne reposent sur aucune analyse sérieuse concernant l’utilisation de l’argent public. Après il ne faudra pas venir pleurer !

Mais le burn-out des salariés a des causes plus profondes qu’on aurait bien tort de ne pas comprendre. Le face à face avec des personnes avec lesquelles il est si difficile de communiquer est compliqué et les parents sont bien placés pour le savoir.

Il faut bien sûr ajouter les problèmes de comportement quel que soit le nom qu’on leur donne.

Bien sûr une des réponses à ces difficultés tient dans la formation qui permet d’avoir une méthodologie de réflexion et aussi des outils… Si c’est indispensable, cela ne règle pas tout.

C’est pourquoi la démagogie des discours actuels aggrave encore le tableau.

Et on peut dire que les parents et les professionnels reçoivent de plein fouet tous les discours qui donnent une représentation discutable de l’autisme.

Cela engendre des sentiments de culpabilité chez les parents comme chez les professionnels.

Les parents ont peur de passer à côté de la bonne méthode, s’accusent de ne pas en faire assez et dramatisent toutes les situations qu’ils rencontrent : les difficultés à l’école, la peur de commettre une erreur dans l’orientation vers un IME ou un hôpital de jour, tout.

Les professionnels sont accusés d’être mal formés (même si ce n’est pas toujours faux) et surtout se voient reprocher les progrès insuffisants des enfants qui sont sous leur responsabilité, qu’ils comparent à ce qu’ils voient sur internet ou qui sont racontés sur les réseaux sociaux.

Disons-le franchement. C’est un enfer pour tout le monde. Et les personnes avec autisme en font les frais. Des éducateurs formés vont s’occuper d’autre chose… (le fameux turn over).

Il faudrait retrouver un peu de sérénité et pour cela travailler sur de bonnes représentations de l’autisme. Espérons que les crédits de recherche dont on nous parle y contribueront.

Voilà quelques pistes de réflexion :

  • L’autisme a une composante organique très forte, quel que soit l’angle d’attaque des recherches actuelles (la génétique, les produits toxiques, le microbiote intestinal, etc.) ; s’il est maintenant reconnu qu’une approche psychanalytique est à côté de la plaque, on peut logiquement se dire que tant qu’on n’aura pas de traitement de la cause ou intervenant sur des processus physiologiques très proches de la cause, on pourra par l’éducation aider certes les enfants avec autisme à progresser et à être moins handicapés, mais beaucoup de difficultés subsisteront. Ne pas attendre de miracle n’est pas aujourd’hui du défaitisme mais une attitude réaliste qui permet de rester positif. On peut constater que la recherche continue à avancer. Pour moi en tout cas, c’est une source d’espoir. Si seulement des médicaments ciblés pouvaient remplacer les neuroleptiques !
  • L’autisme est très divers. Le DSM5 (la classification américaine) a essayé de mettre un peu d’ordre, en établissant des échelles de gravité. Laurent Mottron, au Québec, classe lui l’autisme en trois catégories : l’autisme syndromique (15 %), prototypique (70 %) et les Asperger (15 %). Je n’ai pas d’avis sur cette question, mais il est par contre évident que certaines formes d’autisme avec des troubles associés (épilepsie, déficience intellectuelle, difficultés psychomotrices, etc.) pourront être difficilement comparées avec d’autres personnes avec autisme de l’autre extrémité du spectre. Or que constate-t-on : on ne voit plus (à la télévision, dans les déclarations, dans les témoignages des familles ou des personnes avec autisme elles-mêmes…) que les plus doués ou les plus beaux, les plus présentables disons.Ces représentations font des ravages. Certains ont même réussi à persuader les responsables politiques que si les plus lourdement handicapés existent encore, c’est parce qu’on ne fait pas le nécessaire.Ce mensonge est grave et contre-productif. Oui, on peut faire progresser les personnes avec autisme, mais il faut encore faire des études pour savoir quelle méthode est bonne et avec quels groupes de personnes. Il n’y a pas une méthode unique mais toute une réflexion à réaliser sur la bonne méthode à employer sans oublier les personnes les plus handicapées.Les discours péremptoires (et voilà que certaines personnes avec autisme de très haut niveau s’y mettent aussi) désorientent aussi bien les parents que les professionnels.Les salariés doivent pouvoir aller à des réunions d’information avec des parents pour compléter leur information et leur formation, mais il faut que ces réunions, ces colloques cessent d’être des pugilats.C’est un discours réfléchi qu’on aurait aimé entendre des pouvoirs publics. En ne donnant pas le sentiment de délaisser les moins autonomes. Un ami m’a appelé pour me raconter qu’en numérisant d’anciennes cassettes VHS, il avait constaté qu’il y a 20 ans on faisait des reportages sur des adultes très déficitaires et donc que l’image de l’autisme avait beaucoup changé. Ces derniers sont devenus aujourd’hui invisibles. L’utilisation des techniques de la publicité dans la communication sur l’autisme n’a pas eu que des effets bénéfiques. Dans certains cas même on peut parler de manipulations parfois inconscientes et involontaires, chez d’autres beaucoup plus conscientes. Nous en appelons à une prise de conscience de cette évolution et à réagir à cette forme de manipulation.

Marcel HERAULT – 12 avril 2018