AUTISME : arrêtons les mensonges et la désinformation

Le politiquement correct sévit dans le petit monde de l’autisme ; un mot mal compris et c’est le déchaînement des réseaux sociaux. L’air est devenu irrespirable. En dehors de la doxa imposée par certains, point de salut. Les inquisiteurs se tiennent prêts. Un tout petit nombre d’individus décident de ce que nous devons penser ; c’est l’ère de la pensée unique.

Leur vérité toute prête, les chiffres avancés, les arguments simplistes sont repris par les journalistes qui voient leur travail simplifié. Tout est déjà prédigéré, il suffit de sortir un dossier du placard. Depuis 10 ans, les journalistes n’enquêtent plus ; ils ressortent leur dossier et vont là où on leur dit d’aller. Ce spectacle est désolant ! Le jeu de renvoi d’ascenseur entre journalistes et lobbyistes en dit long sur notre société.

Le but est de faire taire ceux qui cherchent à comprendre. Le recours à la dévalorisation des opinions libres est systématique. Il faut dire « assez », « ça suffit ».

«II n’y a de pire péché contre l’esprit que de donner mauvaise conscience à celui qui dit la vérité » (Jean Rostand).

Le résultat est là. Le plan autisme est en stand-by. Tout le monde est tétanisé, en oubliant sa part de responsabilité dans ce qui arrive.

Les mots façonnent la pensée et imposent des croyances (une idéologie) auxquelles on doit se soumettre. Passons en revue certains d’entre eux.

  • L’enfermement

 

Mot tout simple. C’est même un titre de livre du rayon autisme des libraires.

Tout le monde croit savoir ce qu’est l’enfermement ; il ne devrait pas y avoir de problèmes mis à part que les représentations ne sont pas les mêmes pour tous.

Mais le mot a été tellement utilisé pour désigner une prise en charge en psychiatrie, et j’ai pu suivre le glissement de sens de ce mot utilisé pour dénoncer, pour accuser, pour récuser, pour polémiquer.

Le point de départ est la mise en cause de l’utilisation de la psychanalyse par nombre d’hôpitaux de jour pour enfants. Cette mise en cause me paraît tout à fait justifiée et d’une certaine manière validée par la HAS en 2012. Mais s’est installée un jeu d’équivalences qui défie toute forme d’esprit critique : psychanalyse à pédopsychiatrie à enfermement.

On peut même lire les flèches à l’envers. Ces trois mots sont en quelque sorte devenus synonymes, des synonymes presque parfaits aux yeux de certains. Certains parents s’imaginent qu’un hôpital de jour tient l’enfant prisonnier et qu’il ne peut sortir…

Pour être parfaitement rigoureux, il faut signaler un abus de pouvoir de certains médecins qui ont fait des signalements à l’ASE sur des bases plus que discutables.

Mais les mêmes pratiques ont lieu également dans le médico-social. J’ai en tête la haine d’une directrice qui ne m’a jamais pardonné d’avoir trouvé une solution pour éviter un signalement ; les abus de pouvoirs doivent être dénoncés et je salue au passage la campagne médiatique il y a trois ans sur cette question.

Un hôpital de jour comme son nom l’indique accueille les enfants à partir de 9 h et ceux-ci rentrent chez eux vers 16 h. Les mêmes horaires qu’une IME ou qu’une école.

On peut ne pas souhaiter que son enfant fréquente un hôpital de jour, mais pour d’autre raisons que l’enfermement, par exemple parce qu’on n’a pas été convaincu par le projet de l’établissement ou parce qu’on n’a pas eu de réponses aux légitimes interrogations qu’on peut avoir.

Qu’en est-il des hôpitaux psychiatriques pour adultes (à partir de 16 ans).

Bien sûr quand on est à l’hôpital psychiatrique, on peut affirmer qu’on n’en sort pas comme ça. Clairement ceux qui y sont accueillis sont là par défaut (manque de structures entre autres), car la place d’un adulte autiste n’est pas à l’hôpital psychiatrique.

Aujourd’hui on y voit un peu plus clair car on commence (seulement !) à avoir des chiffres. Et c’est dramatique, car ceux qui sont hospitalisés se trouvent en unité de malades difficiles, avec assez souvent des contentions. C’est un scandale et en réalité ces personnes, un jour ou l’autre, se sont retrouvées hospitalisées, faute de familles susceptibles de les accueillir pour différentes raisons, mais surtout faute d’autres établissements, et elles ont fini par devenir des malades chroniques pratiquement sans soins autres que les neuroleptiques.

Le plan autisme déclare qu’on va créer des places pour les sortir de là, mais ne prévoit pas de créations de places. La même remarque de mensonge d’Etat est valable pour les adultes qui sont dans les établissements belges. Au passage, signalons que la psychiatrie est en crise et aurait plutôt tendance à pousser vers la sortie certains malades que l’on retrouve maintenant à la rue.

Les mots ont un sens et si on veut que les accusations portent, il faut les utiliser à bon escient.

Qu’en est-il des établissements médico-sociaux ? Il faut être clair, si des parents veulent retirer leur enfant d’un établissement médico-social parce que le projet n’est pas satisfaisant, ils peuvent toujours le faire (c’est même le chantage qui leur est fait parfois !). La question de savoir si la personne a eu son mot à dire pour son orientation, si le projet d’établissement prévoit la plus grande ouverture possible sur l’extérieur pour qu’elle ne se sente pas « enfermée » est un débat d’une telle importance qu’elle doit être au cœur de nos réflexions (voir le dernier point).

Mais on ne peut résumer toutes ces idées par l’utilisation d’un mot destiné à faire peur et qui empêche de penser tout simplement. Le terrorisme des pensées toutes faites fait beaucoup de dégâts. On le voit, certains ont pris au mot les déclarations à l’emporte-pièce et les familles vont vivre des drames sans précédent.

Il arrive au médico-social ce qui est arrivé au sanitaire. Il ne faut s’en réjouir dans aucun des de ces deux cas. Il est impératif par contre, et on le verra, de faire un pas important vers une amélioration de la qualité.

  • La désinstitutionalisation – l’inclusion

 

Mots magiques auréolés de toutes les vertus : est-ce si simple ?

  • La désinstitutionalisation

 

Celle-ci est « en marche » puisque le plan autisme n’a pas prévu de créations de places nouvelles et que le Président Macron à deux reprises a « maintenu le cap »…

Il est clair que les grandes institutions, les hospices, sont d’un autre temps. Nous avions d’ailleurs écrit à la Secrétaire d’Etat notre opposition à la création d’un « campus » dans les Yvelines (été 2017) ; nous n’avons même pas eu de réponse et le projet s’est fait.

Nous avons protesté (avec Autisme France par exemple ou AFG) contre les appels à projets formatés de l’ARS de création de FAM ou des MAS de 40 places qui seraient les ghettos dont nous ne voulons plus.

Cette conversion brutale de fonctionnaires et du gouvernement à un dogme de désinstitutionalisation systématique a de quoi surprendre et on peut supposer de bien mauvaises raisons (économies). Le « pognon de dingue » en dit long sur les mentalités…

En préparant cet article, je suis tombé sur les comptes rendus qui ont été faits de la visite en France de la rapporteuse spéciale des droits des personnes handicapées de l’ONU car la France a signé la convention relative aux droits des personnes handicapées. Le 13 octobre 2017, Mme Catalina Devondas Aguilar a annoncé la couleur : « La France a ratifié la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées en 2011 mais n’a pas accordé sa législation à ce nouveau droit qui aurait dû s’imposer au droit français ».

De quoi s’agit-il donc ? Donnons-lui la parole : « Par définition, un bon établissement n’existe pas ». Il faut vraiment s’arrêter sur un tel raisonnement. Je crois connaître le sens du mot définition. C’est tout à fait autre chose. Pour elle établissement = mal absolu.

C’est un argument totalitaire (mais peut-on parler même d’argument, puisqu’elle indique qu’elle n’a pas à se justifier) ; c’est de l’intégrisme (au sens où on l’entend dans le domaine religieux), c’est un dogme imposé par des méthodes terroristes.

Ce que j’écris ne veut pas dire a contrario que les établissements sont bons, mais que le raisonnement est totalement inacceptable si on accepte de ne pas abandonner tout esprit critique.

C’est un raisonnement faux, au sens des grecs qui ont su examiner toutes les subtilités du syllogisme. Si un des prémisses est faux, la conclusion est fausse. C’est du genre : « tout ce qui est rare est cher, or un produit bon marché est rare, donc un produit bon marché est cher ». C’est le deuxième prémisse qui contient ces éléments faux.

Allons plus loin, ce qui est également sous-entendu, c’est qu’il n’y a qu’une alternative possible (le contraire, donc) : sans établissement, c’est la famille qui doit assurer la charge de la personne en lui offrant toutes les possibilités d’inclusion dans la société.

Citons encore l’article de presse où on verra son extrémisme : 10 000 enfants, 200 000 adultes résident en institution en France. Sur cette question, la position du rapporteur spécial est sans ambiguïté : elle prône la disparation pure et simple des établissements médico-sociaux…

J’ai cru rêver et j’ai eu du mal à revenir à la réalité. Quel progrès en effet ? Comme si les adultes que nous connaissons et qui ont besoin d’un étayage particulièrement solide (voir plus loin) ne vivraient pas un isolement encore plus important avec des parents cloîtrés comme eux.

Je cite encore l’article de presse : « elle considère que l’enfermement dans des « structures ségrégatives » (c’est pour elle une tautologie) est une atteinte aux droits fondamentaux qui viole les personnes handicapées.

On est au moyen-âge au niveau de la pensée. Il faut savoir que certains de ses propos lui ont été soufflés par des « représentants associatifs » qu’elle a reçus au cours de ces 10 jours passés en France.

Pensez-vous qu’il y a eu une levée de boucliers des associations. Même pas, on est prêt pour la servitude volontaire. Seule l’UNAPEI, par la voix de sa directrice générale, a réfuté ses arguments. Mais son texte a disparu du site de cette grande association. J’ai trouvé par contre un bel article du président de l’APEI de l’Essonne.

En janvier 2018, à Genève, la France a été admonestée et l’Arabie Saoudite, la Birmanie, la Bulgarie, l’Equateur lui ont fait la morale. Beaucoup de ces pays défendent effectivement les droits de l’homme.

Le résultat le plus grave, et maintenant je commence à comprendre, c’est l’arrêt de financement des établissements. Evidemment, certains n’admettront jamais qu’ils ont une part de responsabilité.

Si on veut mettre en place un raisonnement logique et faire preuve de cohérence, c’est à partir du moment où l’on admet que le pire enfermement que supporterait une personne handicapée serait de rester chez elle (je parle des personnes avec un handicap sévère), il faut impérativement que les établissements médico-sociaux (je ne fais pas de vraie différence entre ces structures avec petit internat et un service, on verra plus loin) fassent un bond en avant pour améliorer la vie des personnes. Car il n’est pas faux de dire (avec les approximations du langage parlé) qu’il n’y a pas pléthore de bons établissements.

C’est à l’Etat de faire son travail et de faire appliquer les recommandations !

  • La société inclusive – la notion d’inclusionOn n’a pas intérêt à mélanger la désinstitutionalisation et l’inclusion. La première n’est pas la conséquence de la seconde.      

 

  1. Par ailleurs en matière d’inclusion j’enfonce une porte ouverte en disant que l’Education nationale n’a pas fait beaucoup d’efforts depuis. S’il y a bien un scandale, c’est là.
  2. Donc pas d’amalgame entre inclusion et désinstitutionalisation (quand le mot est pris au pied de la lettre, comme l’a fait la rapporteuse de l’ONU).
  3. J’ai parcouru certains documents venant cette fois de l’Europe. On peut se retrouver dans un certain nombre d’entre eux.
  4. Si on lit attentivement les recommandations de bonnes pratiques professionnelles de feu l’ANESM, on peut voir que la notion d’inclusion est une sorte de fil directeur. Malheureusement, et j’y reviendrai, celles-ci sont peu prises en compte…
  5. Car l’inclusion est un but ; c’est une valeur positive pour permettre aux personnes handicapées de se voir comme des citoyens, etc.
  6. Nous avons-nous-même défendu des notions comme la valorisation des rôles sociaux (Québec), nous trouvons intéressant également la notion d’empowerment… Ce mouvement d’idées indique la direction : favoriser l’autonomie des personnes, leur donner toutes les possibilités de pouvoir prendre part aux décisions les concernant.

Cela fait des années que nous réfléchissons à un type de structure (avec hébergement) pour les adultes qui soit le plus socialisant possible et le plus ouvert possible.

Ce n’est pas aujourd’hui qu’on découvre le problème des établissements qui se referment trop vite sur eux-mêmes.

La DGCS et le CREAI, avec les associations ont échangé sur les différentes possibilités. Malheureusement, les initiatives innovantes ont été balayées par la loi HPST.

C’est toujours un compromis. Car il faut concilier la sécurité des personnes (par exemple veilleur de nuit, infirmière) avec une ambition d’ouverture.

Le débat n’est pas refermé non plus de savoir si des petites structures de 4 à 6 personnes devraient ou non accueillir d’autres problématiques. Certains envisageaient la présence d’étudiants, etc.

Ce qui est apparu très clairement est que ces dispositifs ne coûteraient pas moins cher que des places d’internat traditionnel.

Cela doit être rappelé sinon on fera des services (pour ne pas utiliser les mots interdits de FAM ou de MAS) qui n’accueilleront que des personnes autonomes et semi-autonomes. Il faut le dire, les SAVS sont tombés dans le piège et les ARS doivent le savoir.

L’opposition que fait la rapporteure de l’ONU entre établissement de petite taille bien sûr) et service n’a pas de sens. Que deviendraient les personnes polyhandicapées, les autistes très dépendants sans petits établissements de qualité ? Nous avons imaginé un établissement qui était un compromis intéressant. Un immeuble de trois étages, avec à chaque étage 4 ou 5 adultes. Nous avions insisté pour que chaque étage vive en autonomie. Direction, salariés n’en ont fait qu’à leur tête et cela a abouti à un établissement de 13 personnes. Trahison sans aucun doute, solution de facilité également. C’est pourquoi nous demandons, nous exigeons que les établissements soient conçus pour les résidents et non pour les salariés, que les projets des personnes (sorties, vacances, activités, transferts) figurent sur les projets d’établissements et ne se fassent pas en fonction des projets des salariés.

Madame la rapporteure de l’ONU, ce qu’il faudrait indiquer, c’est que, si les établissements déçoivent les familles, c’est que la France est en retard dans le management, les ressources humaines et que cela ne concerne pas que le handicap.

J’ai vu passer un projet dans le cadre des appels à projets qui se rapprochait des réflexions européennes. Qui a été le plus acharné contre ce projet : les représentants de l’ARS, avec les élus du Conseil départemental !

C’est surréaliste d’entendre le nouveau discours des représentants de l’Etat…

La France effectivement n’a pas de vraie politique et se contente de suivre la mode, jusqu’à la catastrophe annoncée…

  • Autisme

 

Hélas, le mot autisme est devenu aujourd’hui un piège ; ce piège est devenu un juge mortel pour une catégorie de personnes avec autisme, ceux des années 90-2000, ceux qui ont fait connaître ce handicap, avec le combat des familles.

A longueur d’éditorial, je suis revenu sur ce sujet : « Autisme, parlons-nous des mêmes personnes ? »

Un article récent intitulé « les enfants autistes sévères et leur place dans la recherche scientifique » souligne bien la nécessité de progresser dans ce domaine. Voici le début de l’article : « D’une extrémité à l’autre du spectre de l’autisme, il existe des profils et des situations différentes. Deux constructions médiatiques des représentations de l’autisme consistent d’un côté en la figure du génie hyper compétent dans un domaine et l’autre est représentée par ce petit garçon déficient qui se tape la tête contre le mur ». Dans cet article d’une université américaine, on peut déduire qu’environ 1/3 des personnes diagnostiquées autistes appartiennent à ce groupe, ce n’est pas rien.

Si on rapproche cette étude des recherches du Dr Mottron, on aboutit à des chiffres de même grandeur. Rapporté à la France (700 000 autistes), ce groupe représente 200 000 personnes qui auront besoin la vie entière d’un accompagnement très soutenu.

Je ne comprends pas que le dernier plan autisme qui ne prévoit pas de créations de places nouvelles pour ces personnes n’ait pas soulevé davantage de remous. Car on est en face d’un véritable scandale sanitaire.

N’oublions pas que l’autisme est comme le dit le début de cet article, une construction médiatique et en France une construction administrative également.

Il a paru plus simple de créer une entité unique pour « fabriquer » une politique de santé publique, en ne s’encombrant pas des « détails », c’est-à-dire des besoins des personnes ou des groupes de personnes à qui s’adresse cette politique. Cela donne un résultat qui ne convient en réalité à personne, mais qui permet au gouvernement de justifier sa politique de réduction des dépenses, car on abandonne complètement une catégorie de personnes, peu valorisantes en termes d’image médiatique. Cela en dit long sur notre société qui valorise les individus qui réussissent leur vie, dont on attend un retour sur investissement. Ceux qui sont à charge sont un fardeau pour la société qui les rejette. Et après on parle de société inclusive… Cette absence totale d’éthique devrait vraiment nous inquiéter sur l’avenir de notre société. Quand je pense qu’on parle de « progressisme », le nouveau mot à la mode. Le véritable progrès serait de se préoccuper des plus fragiles et de redonner du sens à des mots qui ont jalonné notre histoire : fraternité, solidarité, humanité. On a le sentiment que l’humanisme est un mot qu’on n’a plus le droit d’employer, sans susciter ironie et sarcasme.

Les associations réagissent mollement, c’est le moins qu’on puisse dire et se contentent de faire des contre-propositions pour simplement montrer qu’elles sont compétentes et qu’elles connaissent mieux le sujet que la classe politique. Mais, au fond, leur contribution n’est qu’un rapport de plus, une dissertation à côté du plan de l’Etat, en acceptant de rentrer dans un moule où l’on parle de tout : un catalogue de bonnes intentions. On passe tout en revue, on ne veut rien oublier, mais 100 propositions ne font pas une politique de santé publique, si on ne se pose pas les bonnes questions. Et la première est de savoir combien de personnes auront besoin d’un accompagnement vie entière. J’ai parlé de 200 000 personnes, mais c’est encore beaucoup trop imprécis : combien d’enfants pour qui la scolarisation n’est pas la panacée, combien d’adolescents aujourd’hui sans solution et qui rentrent à la maison, combien d’adultes pour lesquels il faudrait créer des places, etc.

C’est pourquoi l’autisme qui a permis aux familles de ma génération de donner une réalité à des particularités que les médecins de l’époque appréhendaient mal, devient aujourd’hui un obstacle aussi bien à l’avancée des connaissances qu’à la capacité de la société de protéger et d’accompagner les plus fragiles.

Les plans autisme sont devenus des fourre-tout qui justifient de ne rien faire de concret pour ceux qui en pourtant le plus besoin. Il faut garder cette idée à l’esprit si on veut sortir de l’impasse où on se trouve.

  • Les bonnes pratiques professionnelles

 

Celles-ci souffrent des mêmes difficultés. J’ai soutenu la démarche de l’ANESM (au bureau du COS), mais pour chaque recommandation j’ai été amené à m’interroger sur la lisibilité de celles-ci (nécessaire à leur bonne appropriation) dans la mesure où un lecteur extérieur se serait demandé pour quelles personnes elles allaient faire avancer la réflexion.

Un exemple me vient à l’esprit. Dans le cadre d’une réflexion sur la gestion des comportements-problèmes, un dossier particulier était consacré aux lieux de calme-retrait (euphémisme qui désigne trop souvent des pièces d’isolement). Si on met en regard avec les réflexions sur l’enfermement et l’inclusion (ONU – chapitre 1.2), on tombe à la renverse. Il n’y a aucune cohérence d’ensemble. Au moment où on ne dégage même plus de financement pour créer des places pour des personnes très fragiles, on se permet de s’interroger sur les logiques administratives ou gouvernementales. Le jour où on peut s’appuyer sur l’ONU pour détruire tout le système médico-social, on le fait avec cynisme (logique purement financière), le jour où l’ANESM reçoit du gouvernement la consigne de faire une réglementation sur un système plus que discutable, elle est obligée de s’exécuter, avec le risque que les problèmes de comportement deviennent une particularité de la personne et ne résultent donc pas d’une interaction entre la personne handicapée et son environnement (OMS et ONU).

J’ai été admiratif (mais aussi critique) devant le travail des rédacteurs de bonnes pratiques pour tenter de faire passer les deux messages en même temps et de gommer les contradictions de la démarche.

C’est dommage, car les nombreuses recommandations de la HAS et l’ANESM devraient constituer un corps de réflexion nécessaire à l’évolution des dispositifs gouvernementaux (sanitaire et médico-social).

Hélas, ce que j’ai pu voir des évaluations internes/évaluations externes/renouvellement d’agrément n’a pas permis de transformer notre « modèle » d’accompagnement. Alors, que faire ? Je salue ceux qui travaillent à l’élaboration de labels qualité ; la démarche est plus contraignante, mais je reste pessimiste car on ne voit qu’une partie des difficultés (voir plus loin).

Manque de chance également (mais certains l’ont cherché…), la recommandation de 2012 (HAS, et un peu l’ANESM) a créé une inutile diversion à un travail de fonds sur les accompagnements. Un seul point positif : la mise à l’écart de la psychanalyse. Par contre pour mieux dénoncer la psychanalyse, elle a accordé un crédit à une méthode en particulier, en la créditant du grade B. Alors qu’il s’agit d’une marque commerciale, elle a été citée comme telle. Aussitôt après (lors de son passage en France, pour le dernier colloque que j’ai organisé), elle a été violemment critiquée par L. Mottron ; puis les associations de personnes avec autisme ont fait connaître avec virulence leur opposition ; les inspections diligentées par les ARS pour évaluer la méthode en France n’ont pas été très favorables (c’est parfois peu dire) ; puis l’Angleterre qui a fait une méta-analyse des données scientifiques n’a pas abordé la question sous le même angle ; puis de nouvelles publications américaines sont venues ébranler le soi-disant consensus « scientifique » (encore un mot qui est plus incantatoire qu’autre chose)…

Où en est-on ? La bataille de tranchées a laissé les morts sur le terrain et c’est devenu un sujet tabou,… ajoutez cette incohérence aux autres…

Bien sûr pour avancer, il faudrait pouvoir déterminer les sous-groupes de personnes avec autisme qui pourraient tirer un bénéfice de certaines réflexions et méthodes comportementalistes (car il n’est pas plus question ici qu’ailleurs de jeter le bébé avec l’eau du bain). Travail urgent, mais à l’évidence les études divergent sur leurs résultats : à qui pourraient convenir des adaptations souples de certaines méthodes comportementales : ceux qui ont une déficience intellectuelle ou d’autres ?

Quel que soit le bout par lequel on prend la question de l’autisme, on voit que la question du spectre autistique devrait être centrale et que, immédiatement, si on veut être pragmatique, il faut refuser tout ce qui se prétend hégémonique. Alors que penser de l’élargissement à toutes les personnes présentant des troubles du neuro-développement ?

Le choix de notre association, compte tenu de l’expérience de nos administrateurs (souvent avec leurs propres enfants), est de continuer à se battre pour éviter que les enfants, adultes les plus en difficulté, ne soient les grands oubliés et ne redeviennent les parias qu’ils étaient avant 1995.

C’est également pourquoi nous sommes si attachés à l’avenir des établissements médico-sociaux.

Il est difficile de porter un diagnostic d’ensemble, mais on peut quand même dire que la situation n’est pas réjouissante. Contrairement à l’esprit des recommandations, la personne est rarement au centre des préoccupations. Le sentiment que l’on a c’est que les établissements sont mobilisés sur des questions de gestion financière, de gestion des ressources humaines que sur la qualité des accompagnements.

C’est là qu’il faut rappeler qu’il faut être capable de bien voir l’esprit des recommandations (il ne faut pas nécessairement chercher des recettes à la lettre). Et là on trouve (si on veut bien se donner la peine) une nouvelle représentation de la personne handicapée : reconnaissance de ses droits, respect de l’individu, un accompagnement éducatif, mais aussi à la santé et une participation à la vie sociale. Pendant l’enfance (et plus tard), il est nécessaire d’avoir des activités variées, adaptées qui participent également au développement cognitif.

La perception extérieure des établissements que l’on peut avoir, c’est que très vite ils deviennent des garderies (et plus tard hélas des mouroirs) car on est sur la mauvaise pente.

Cette lutte contre ces dérives maltraitantes n’est pas au cœur de la réflexion des pouvoirs publics. Que fait-on aujourd’hui pour les maisons de retraite ? Et pourtant cela concerne beaucoup de monde. Seul un sursaut d’ordre éthique pourrait remettre le dispositif sur les rails.

Il faut revaloriser, par exemple, le statut des salariés qui accompagnent les personnes. Aujourd’hui c’est un travail par défaut, rarement motivé par un intérêt intellectuel, social et moral. On paie un préjugé qui règne depuis tant d’années. Tout le monde peut faire ce métier, y compris les personnes qui elles-mêmes sont en souffrance sociale.

Une des manifestations de cette crise est le turn-over impressionnant (en tout cas en Ile-de-France) des salariés (AMP, aides-soignants, éducateurs…), surtout dans les établissements pour adultes.

Comment peut-on même parler d’éducateur référent quand la personne a eu à peine le temps d’arriver qu’elle est déjà partie.

On est exactement à l’opposé de l’esprit des recommandations ; Mais qui s’intéresse à cela ?

Où en est le travail d’équipe dans le médico-social ? Les réunions sont un lieu de défoulement, où évidemment toutes les difficultés viennent de la personne elle-même et où on fait tout pour minorer les conflits, les absences, les dossiers perdus, les arrêts maladies, etc.

Les équipes-cadres (psychologue, psychiatre quand il y en a un, chefs de service directeur) ne semblent pas en mesure de tirer vers le haut la réflexion, de motiver les salariés, de les aider également, d’assurer une forme de continuité dans la vie d’un établissement… (il n’y a plus de mémoire de son histoire…) Evidemment, c’est tragique, mais hélas pas si éloigné de ce que l’on perçoit.

Le défi d’une société inclusive n’est pas de trouver des réponses administratives ou réglementaires à des problèmes humains.

Or l’Etat se défausse en permanence de ses responsabilités. En 2008, création des ARS pour créer un tampon entre l’Etat central d’un côté et les revendications des familles. Mais aussi tous les organismes qui se créent (centres de ressources autisme, réseaux de santé, plateformes…) n’ont pour but que de diluer les responsabilités et les missions de l’Etat. Au passage, et pour afficher qu’on n’augmente pas les fonctionnaires, certains de ces dispositifs ne sont pas pris sur le budget de l’Etat, mais sur celui de l’assurance-maladie.

Au moment où l’Etat se prépare à laisser les familles se débrouiller, au lieu d’attaquer les dysfonctionnements de ce qu’il a autorisé et mis en place, il est important de ne pas être dupe, de ne pas accepter que les mots prennent la place de la réalité (suivant en cela une évolution générale de la politique…).

Au moment de mettre en ligne cet article, vient de paraître une véritable « bombe » aux Editions Flammarion. La traduction est préfacée par Josef Schovanec.

Edith Sheffer, auteur de « Les enfants d’Asperger – Le dossier noir des origines de l’autisme » (une historienne américaine), a concentré ses recherches sur le psychiatre autrichien Hans Asperger. Ce n’était pas le gentil professeur qu’on imagine, mais il a participé (indirectement) au génocide de personnes handicapées.

Par son travail, il a voulu montrer qu’une catégorie d’enfants autistes (c’est en 1943 que Kanner présentera ses observations) était radicalement différente et méritait à ce titre d’être « sauvée, alors que d’autres étaient irrécupérables.

On peut penser que ce livre sera très critiqué. Je retiens l’idée qu’il faut à tout prix défendre les plus vulnérables, les plus sévèrement atteints et ne pas les abandonner (d’où la nécessité de créer des places qui ne figurent pas dans le plan Macron).

Ce serait une autre forme de crime de les abandonner à un triste sort d’individus qui ne seraient qu’un fardeau. Cette évolution des mentalités devrait effrayer tous les hommes de bonne volonté. Si on les compare à d’autres, ils sont effectivement les grands perdants d’une société qui ne valorise que la performance et l’image valorisante.

Peu importe les mots, intéressons-nous aux personnes, quitte à bousculer certaines certitudes qui ont été utiles sans doute, mais qui condamnent certains à être les damnés de la terre.

Le 8 avril 2019

Marcel HERAULT, Président de SA3R