AUTISME : PARLONS-NOUS DES MEMES PERSONNES ?

J’ai repris le titre d’une note de lecture rédigée par C. Bartélémy pour le bulletin scientifique de l’ARAPI (n° 18 – 2006 – https://www.arapi-autisme.fr/pdf/BS/18/BS18-12note-lecture.pdf) à propos de la parution d’un livre de L. Mottron « Une autre intelligence » (2004). Catherine Bartélémy nous dit également que cette expression était souvent utilisée par le Pr Lelord.

La question est plus que jamais d’actualité. La sortie du DSM5 il y a 2 ans est loin d’avoir réglé le problème, car la notion de spectre constitue une sorte de « fourre-tout » comme le disait dans son article C. Bartélémy déjà en 2006. Car si on met côte à côte les deux extrêmes du spectre (comme les couleurs de l’arc en ciel, car il s’agit d’une métaphore) on a du mal à percevoir les ressemblances.

L’espoir réside maintenant dans la CIM11. Dans les documents qu’on peut consulter, on donne de l’importance à la déficience intellectuelle pour tenter une sorte de classement.

La question de fond est celle de la déficience intellectuelle pour laquelle le diagnostic est plus souvent tardif ; certains même la nient ou en font une comorbidité parmi beaucoup d’autres (par exemple l’épilepsie, les troubles alimentaires, les problèmes de comportement…).

Nous préférons l’approche de C. Bartélémy qui s’interrogeait en 2006 s’il ne faudrait pas faire un double diagnostic, un diagnostic d’autisme et un autre concernant la déficience intellectuelle. C’est peut-être cela que voudrait éviter la CIM11. A suivre…

Quant à L. Mottron, il a travaillé sur un groupe d’autistes « purs », c’est à-dire sans retard mental important, ni autres signes et symptômes, qu’il a appelé TEDSDI –Troubles du Spectre Autistique Sans Déficience intellectuelle… devançant le cheminement des media et des politiques, façonnant une représentation presque idyllique de l’autisme. On en voit les conséquences caricaturales car ces personnes sont devenues des vedettes de films ou de séries télévisées.

Hélas pour les personnes avec autisme présentant un retard intellectuel, le même travail n’a pas été fait. Certains ont parlé d’un autisme syndromique, c’est-à-dire que certains signes sont visibles sur le plan morphologique ou génétique. Le plus souvent on a trouvé une origine génétique. Selon les études le pourcentage irait de 15 à 30 %…

Ceux qu’hier on disait autistes comme le dit si bien C. Bartélémy n’ont pas disparu et leur nombre ne diminue pas, même s’ils sont « victimes » d’un pourcentage en baisse lié à l’élargissement de critères d’inclusion dans le spectre de l’autisme.

Et là c’est un flou qui n’a rien d’artistique. Par exemple que représentent les personnes avec autisme avec déficit intellectuel ? Selon les études ( ?), le pourcentage varie de 30 à 70 %. On aimerait un peu plus de sérieux…

Revenons à un peu de bons sens. Notre association côtoie tous les jours ceux qu’hier on disait autistes. Petits, les parents souffrent de leur absence de communication, doivent faire face à leurs insomnies, doivent attendre longtemps pour qu’ils soient propres, ne savent pas quoi faire face à leurs troubles alimentaires, découvrent un jour qu’ils sont épileptiques, etc., etc.

Adultes ils posent parfois des problèmes de comportement, se mettent en danger ; on doit leur proposer des activités et les accompagner dans ces activités, car ils ne sont pas autonomes, etc.

C’est le quotidien des parents, confrontés à l’absence de places en établissements, aux carences de l’Education nationale (c’est presque un euphémisme, un grand écart entre le discours et la réalité).

Ce sont ces personnes (enfants et adultes) que notre association SA3R veut continuer à défendre.

Déjà, dans un article, C. Bartélémy (reprenant en cela au moins un constat fait au Québec par L. Mottron) se demande s’il restera assez de fonds pour financer les établissements d’accompagnement pour les personnes peu autonomes « ayant besoin de bien davantage que de conseils sur la compréhension des attitudes, motivations et comportements d’autrui ».

C’était en 2006 prémonitoire, la situation se complexifie encore depuis qu’on a inclus l’autisme dans l’ensemble plus vaste des troubles neuro-développementaux (TND) dont la prévalence serait de 5 % Déjà on est passé de 1 % à maintenant selon certains 1,5 % pour les TSA et maintenant qui dit mieux 5 % pour les TND.

Qu’est-ce que ceux qu’hier on disait autistes ont à y gagner ?

On voit la réponse venir. Il faudra se partager la même enveloppe entre 10 fois plus de monde. Une idée intéressante pour la recherche scientifique (dans le cerveau, il n’y a pas les frontières entre les différentes pathologies qui sont décrites) va servir d’alibi pour justifier qu’on ne s’occupe plus comme il le faudrait des plus vulnérables…

Rien ne serait plus désolant que d’opposer entre elles les différentes catégories de populations handicapées. Or c’est ce qui est en train de se produire, en voulant les faire entrer dans les mêmes moules administratifs et financiers.

La notion de parcours de vie est une notion en elle-même philosophiquement intéressante pourrait-on dire, mais si c’est pour expliquer qu’on pourrait balader les personnes avec autisme d’un service à l’autre, avec des temps d’accompagnement de quelques heures par ci par là, cela devient honteux. C’est un refus de soin, la fin de la solidarité nationale.

Admettons qu’on ne parle plus de créations de places, mais quel nom va-t-on donner aux « services » qui pourront assurer un accompagnement global de la personne. A l’âge adulte, il faut assurer l’accompagnement 24/24 h mais aussi le logement…

Pour des raisons malheureusement économiques on va faire des changements qui constitueront des retours en arrière de la qualité de vie et de la socialisation.

On peut toujours tourner le problème dans tous le sens. On ne peut pas, sans crédits fléchés pour elles, protéger et accompagner les personnes avec autisme les moins autonomes.

C’est malheureusement ce qui est en train de se mettre en œuvre. Battons-nous pour ceux qu’on disait autrefois autistes, c’est-à-dire très dépendants, et refusons qu’on noie le poisson.

Il y va de la solidarité nationale et de l’accès aux soins adaptés.

Que dirait-on dans le domaine de la santé si on mélangeait toutes les pathologies pour ne s’occuper que de certaines.

Je ne voudrais pas porter malheur, mais une telle dérive n’est pas non plus impossible dans le domaine de la santé. C’est pourquoi i faut combattre tous les retours en arrière.

Marcel HERAULT

28 novembre 2018