« Ce n’est pas le chemin qui est difficile, mais le difficile qui est le chemin » (Sören Kierkegard)
Les personnes avec autisme sont sans aucun doute déroutantes et quiconque chercherait des recettes à appliquer mécaniquement sera vite déçu.
Par contre, qui ne rechigne pas devant les difficultés progressera sans doute en direction des personnes avec autisme, car il faut accepter d’être désorienté pour chercher jour après jour à comprendre pourquoi ce qu’on croyait savoir doit être corrigé, affiné, voire remis en question… On est sur la bonne voie quand on a compris qu’on n’avait pas encore bien compris.
Deux ouvrages récents peuvent nous aider à progresser dans notre démarche qui est l’aventure de toute une vie :
Ces deux ouvrages adoptent la même démarche qui consiste à confronter la compréhension que les personnes avec autisme (des Aspergers le plus souvent) se font d’elles-mêmes, la perception des parents à travers le vécu avec leur enfant et nos connaissances sur les hypothèses des sciences cognitives sur le fonctionnement autistique.
Le livre de Filem Jomago est un véritable travail de bénédictin, puisque l’auteur s’est livré à un travail de comparaison entre tous les livres qu’il connaissait, soit écrits par des personnes avec autisme, soit par des parents. On imagine les milliers d’heures de travail pour rechercher les points communs et les variantes ; ce sont des centaines d’items qui ont été ainsi passés au crible… tout cela dans le but de tenter de comprendre son fils et d’entrer dans son monde.
L’observation fine et attentive des particularités des comportements est la méthode suivie et le chemin. On est donc loin des théories intellectuelles, mais dans le quotidien et le questionnement. Ce travail répété des parents et des éducateurs n’est pas la voie de la facilité, mais comme l’indique la citation du philosophe danois on sait qu’on est sur la bonne voie parce que c’est difficile.
C’est pour moi la grande leçon de vie de ces deux livres qui s’ajoutent à quelques titres d’ouvrages (car il y en a bien peu) qui peuvent nous aider à mieux comprendre nos enfants :
Il est heureux en ce début d’année qu’on puisse sortir des « vérités scientifiques » plaquées, des certitudes, des affirmations, des dogmes et qu’on reconnaisse (enfin) que les « origines de l’autisme resteront un mystère, mais le fonctionnement du cerveau autistique nous est de plus en plus accessible » (p. 164 – « L’autisme expliqué aux non-autistes »).
Nous avons, avec bonheur, retrouvé cette humilité dans le rapport de la Cour des comptes « Evaluation de la politique en direction des personnes présentant des troubles du spectre de l’autisme » (décembre 2017). Les enquêteurs ont pris très au sérieux leur travail de diagnostic et se sont sans doute assez vite rendu compte de la difficulté de la tâche… Par chance, on ne trouve pas d’oukases, de recettes magiques, même les critiques sont nuancées. Ce travail est certainement plus ouvert que beaucoup d’autres rapports demandés par les pouvoirs publics et tient compte des évolutions des connaissances des dernières années.
Le chemin sera très difficile pour réorienter le travail gouvernemental très approximatif des plans successifs. On retrouve de nombreuses critiques que nous avions faites.
Mais on peut s’interroger sur la signification du message qui est envoyé. A juste titre, les rapporteurs notent que les besoins sont loin d’être satisfaisants et pointent les insuffisances de financement à tous les âges (petite enfance, adolescence, âge adulte)… Mais en même temps le sur-moi comptable reprend le dessus et les contrôleurs se sont livrés à un travail d’addition de ce que l’autisme coûte au pays : 7 milliards parait-il, en ajoutant des chiffres qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Le travail (très grossier) effectué par le Conseil économique, social et environnemental, était plus honnête, car il n’oubliait pas de soustraire le temps passé par les familles, les emplois créés (qui font diminuer le chômage), les connaissances qui progressent…
Le rapport est donc très ambivalent, c’est l’impression finale de la lecture.
Dans tous ces documents, les auteurs ont abordé une question difficile : celle de l’autisme et de la déficience intellectuelle. On peut se réjouir qu’ils n’aient pas fui le débat car il est central. Est-on sûr qu’on parle bien de la même chose ou plutôt des mêmes personnes, ont elles le même fonctionnement, ont elles les mêmes besoins… les grands absents (car ils n’écrivent pas) sont bien les autistes avec une déficience intellectuelle sévère. Il ne manquerait plus qu’on les oublie quand on veut définir leurs besoins.
Quand on lit que certaines administrations proposent de les « parquer » ensemble, on se dit qu’elles n’ont pas Kierkegard.
Marcel HERAULT
19 février 2018