MAUVAIS TRAITEMENTS FAITS AUX PERSONNES HANDICAPEES : qui s'en occupe ?

MAUVAIS TRAITEMENTS FAITS AUX PERSONNES HANDICAPEES :

Qui s’en occupe ?

On parle beaucoup ces dernières semaines des violences faites aux femmes, à partir de faits d’actualité bien réels (harcèlement d’un producteur aux Etats-Unis, assassinat d’une joggeuse,…). La parole se libère, nous disent les média. Tant mieux, mais pour que le soufflé ne retombe pas, il faut de la persévérance et mener un combat permanent.

C’est ce que m’a appris le combat que l’association mène depuis si longtemps. 2007, l’année de création de l’ANESM, est aussi celle d’un colloque que j’ai organisé à Nantes sur le thème de la maltraitance, colloque auquel participait la secrétaire d’Etat de l’époque (Mme Valérie Létard), particulièrement soucieuse de cette question.

L’ANESM avait cette double mission : lutter contre la maltraitance en élaborant des recommandations de bonnes pratiques professionnelles (servant d’outils à l’évaluation interne). Démarche cohérente que j’ai soutenue… mais est-ce suffisant ?

A chaque fois qu’un scandale de maltraitance était révélé au public (grâce à des reportages en caméra cachée), les pouvoirs publics sortaient une nouvelle circulaire. C’est ainsi qua été institué un numéro vert, et qu’une cellule de veille a été mise en place au sein des ARS.

Comme pour les femmes, c’est la pression de l’opinion et des média qui permet certaines avancées.

En réalité, c’est très fragile et les progrès sont ténus, car l’hypocrisie s’installe vite. Tout le monde dénonce la maltraitance dont sont victimes les personnes vulnérables, mais qui balaie vraiment devant sa porte ? Et les pouvoirs publics, estimant qu’ils ont mis en place les dispositifs nécessaires, bottent en touche. Circulez, il n’y a plus rien à voir.

Un établissement recevant des personnes avec autisme reçoit une majorité de personnes qui n’utilisent pas le langage pour communiquer ce qu’elles vivent, quand elles ne sont pas totalement mutiques. Une mère qui a retiré son fils d’un établissement, disait que dorénavant les autres familles ne sauraient plus rien car il était un des seuls à raconter ce qu’il voyait ou entendait. Elle avait hélas raison.

Normalement, les collègues de travail ont une obligation de dénoncer. Le code pénal est très clair et il faut rappeler encore et toujours l’article de loi (article 434.3 du code pénal : « le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende).

Mais, c’est bien là qu’est le nœud de la question.

  1. Les accompagnateurs (à supposer qu’on leur ait présenté cet article de loi) se rendent-ils compte eux-mêmes de ce qui n’est pas tolérable (par exemple des propos désobligeants tenus devant les personnes, des punitions telles que la privation de nourriture ou objets auxquels les personnes sont attachées…) ?
  2. Ont-ils le courage de mettre en cause un collègue de travail et d’affronter la réprobation des autres (car l’esprit de corps existe dans le milieu) ? A qui vont-ils s’adresser (s’ils franchissent le premier obstacle) ? Et si la direction elle-même était d’accord et déjà au courant et laissait faire ? C’est la fameuse loi du silence dénoncée dans un volumineux rapport du Sénat de 2003. Disons le nettement, ce rapport n’a pas perdu de sa pertinence.
  3. Et puis, il y a les difficultés juridiques. La personne mise en cause peut se retourner contre son accusateur en s’appuyant sur un autre article de loi : la dénonciation calomnieuse. Comme pour les violences faites aux femmes, il faut pouvoir fournir la preuve de la réalité de la maltraitance. C’est sans aucun doute logique. Il faut donc au moins deux témoins, car sinon c’est parole contre parole. Or on ne peut s’appuyer sur le témoignage de la personne avec autisme, car il est bien difficile de recueillir son témoignage (qui pourra toujours être contesté, d’où des batailles d’experts pour déterminer si le témoignage est fiable)..
  4. Ce raisonnement qui vaut pour l’éducateur courageux vaut aussi pour les familles et les représentants légaux, avec une difficulté supplémentaire.

Les parents qui voudraient porter plainte auprès de la police ou du Procureur de la République, craignent pour leur enfant. Deviendra-t-il la bête noire de l’institution ? Certaines réflexions inconsidérées tenus en sa présence ne risqueront-elles pas d’entraîner des problèmes de comportement. C’est beaucoup plus fréquent qu’on ne le croit.

Il faut imaginer le dilemme dans lequel se trouvent les parents : ne rien faire et laisser leur enfant sans défense (car il l’est vraiment), ou dénoncer avec le risque d’aggraver encore sa situation…

Je vous sens, cher lecteur, incrédule. Est-il possible qu’on en soit là dans certains cas (plus nombreux qu’on ne le croit) ? L’équipe de direction (voire l’association gestionnaire) est là pour garantir la sécurité… Normalement oui, à condition d’avoir la même représentation de ce que sont la maltraitance et la bientraitance. Or :

  1. Certains pensent encore que la personne handicapée fait exprès d’embêter les autres quand elle a un comportement « inadéquat ». Derrière cette idée, il y a une méconnaissance de ce qu’est l’autisme. On ne devrait pas reprocher à quelqu’un son handicap. C’est pourtant ce qui se passe parfois !
  2. Un autre préjugé : une punition, une gifle, ce n’est pas si grave. Les mêmes personnes qui feraient un scandale s’il s’agissait de leur propre enfant ne voient même pas le problème lorsqu’il s’agit d’une personne déficiente. C’est l’image dans notre société de certaines personnes handicapées. On retrouve sans doute cette considération chez les magistrats ou les policiers, prêts à amoindrir la gravité de certains gestes du fait que la personne n’est pas comme tout le monde, qu’elle est difficile, excusant ainsi un « geste déplacé ». Et pourtant, que dirait-on si un policier giflait une personne qu’il poursuit… Le problème est le même, mais comme les personnes handicapées sont différentes, elles n’ont pas les mêmes droits.

Cette discrimination n’a pas, hélas, disparu. Il faudrait donc également faire une information sur l’autisme auprès des juges et des policiers. C’est certainement une des réponses à trouver à ces scandales de violences faites aux personnes handicapées.

Quel est aujourd’hui le bon interlocuteur des salariés ou des parents ?

  1. Les ARS (et les conseils départementaux). C’est leur rôle… mais trop souvent ils se contentent d’écrire au directeur (qui reconnaît facilement celui qui a dénoncé). Sa réponse suffit et l’affaire est classée. Sans doute, vu le nombre d’appels que le service dédié reçoit (ce qui est bien la preuve que le climat n’est pas très bon), il ne peut pas y avoir une inspection à chaque signalement (et hélas certains sont également sans fondement). Par ailleurs, l’inspection est le plus souvent d’ordre administratif les inspecteurs (qui ne connaissent pas les particularités de l’autisme) étant mal à l’aise pour juger la qualité de l’accompagnement…
  2. Le Procureur de la République ou le commissariat de police. Si ceux-ci peuvent mener une enquête, ils ne pourront retenir que ce qui correspondra à un article du code pénal (coups et blessures, atteintes sexuelles…) et seront embarrassés de tous les autres témoignages (s’ils laissent les témoins parler librement).Faut-il donc déconseiller le recours direct à la justice ? Ce n’est pas si simple. On voit qu’en matière de santé, certaines actions (si on trouve un bon avocat) ont pu déboucher. Dans le domaine de l’autisme, on peut s’appuyer sur l’obligation de résultats… il est sans doute regrettable de constater que tout se judiciarise aujourd’hui. Mais si c’est le prix à payer pour que les mentalités évoluent…Sans doute une action judiciaire aura plus de chances d’aboutir si les média font des reportages sur la vie dans les établissements. Envoyé spécial ou d’autres émissions ont joué un rôle utile. Souhaitons qu’il y en ait d’autres. Nous sommes tous concernés par les mauvais traitements faits aux personnes vulnérables : personnes handicapées mais aussi personnes âgées. C’est donc la société qui doit se mobiliser comme elle le fait aujourd’hui pour les violences faites aux femmes.

Marcel HERAULT

6 novembre 2017